Telle est, M.F., la cruelle et affreuse position où se trouvent maintenant nos pères et mères, nos parents et nos amis, qui sont sortis de ce monde sans avoir entièrement satisfait à la justice de Dieu. Il les a condamnés à passer nombre d’années dans ces prisons ténébreuses du purgatoire, où sa justice s’appesantit rigoureusement sur eux, jusqu’à ce qu’ils lui aient entièrement payé leurs dettes. « Oh ! qu’il est terrible, nous dit le saint Roi-prophète, de tomber entre les mains du Dieu vivant [1] ! « Mais pourquoi, M.F., suis-je monté en chaire aujourd’hui ; que vais-je vous dire ? Ah ! je viens de la part de Dieu même ; je viens de la part de vos pauvres parents, afin de réveiller en vous cet amour de reconnaissance que vous leur devez ; je viens vous remettre devant les yeux toutes les bontés et l’amour qu’ils ont eus pour vous pendant qu’ils étaient sur la terre ; je viens vous dire qu’ils brûlent dans les flammes, qu’ils pleurent, et qu’ils demandent à grands cris le secours de vos prières et de vos bonnes œuvres. Il me semble les entendre s’écrier du fond de ces brasiers qui les dévorent : « Ah ! dites bien à nos pères, à nos mères, dites à nos enfants, à tous nos parents, combien sont cruels les maux que nous souffrons. Nous nous jetons à leurs pieds pour implorer le secours de leurs prières. Ah ! dites-leur que depuis que nous sommes séparés d’eux, nous sommes ici à brûler dans les flammes ! Oh ! qui pourra être insensible à tant de maux que nous endurons ? « Voyez-vous, M.F., entendez-vous cette tendre mère et ce bon père, et tous ces parents qui vous tendent les mains ? « Mes amis, s’écrient-ils, arrachez-nous à ces tortures, vous le pouvez. » Voyons donc, M.F., 1° la grandeur des tourments qu’endurent les âmes du purgatoire, et 2° les moyens que nous avons de les soulager, qui sont : nos prières, nos bonnes œuvres, et surtout le saint sacrifice de la Messe.
I. – Je ne veux pas m’arrêter à vous prouver l’existence du purgatoire ; ce serait perdre mon temps. Nul d’entre vous n’a le moindre doute là-dessus. L’Église à qui Jésus-Christ a promis l’assistance du Saint-Esprit, et qui, par conséquent, ne peut ni se tromper ni nous tromper, nous l’enseigne d’une manière assez claire et assez évidente. Il est certain et très certain qu’il y a un lieu où les âmes des justes achèvent d’expier leurs péchés, avant d’être admises à la gloire du paradis qui leur est assurée. Oui, M.F., et c’est un article de foi : si nous n’avons pas fait une pénitence proportionnée à la grandeur et à l’énormité de nos péchés, quoique pardonnés dans le saint tribunal de la pénitence, nous serons condamnés à les expier dans les flammes du purgatoire. Si Dieu, la justice même, ne laisse pas une bonne pensée, un bon désir et la moindre action sans récompense, de même aussi il ne laissera pas impunie une faute, quelque légère qu’elle soit ; et nous irons souffrir en purgatoire tout le temps que la justice de Dieu l’exigera, pour achever de nous purifier. Dans l’Écriture sainte, grand nombre de textes montrent que, bien que nos péchés soient pardonnés, le bon Dieu nous impose encore l’obligation de souffrir dans ce monde, par des peines temporelles, ou dans l’autre, par les flammes du purgatoire [2] .
Voyez ce qui arriva à Adam : s’étant repenti après son péché, Dieu l’assura qu’il l’avait pardonné, et cependant il le condamna à faire pénitence pendant plus de neuf cents ans [3] ; pénitence qui surpassa tout ce que l’on peut imaginer. Voyez encore [4] : David ordonne, contre le gré de Dieu, le dénombrement de ses sujets ; mais, poussé par les remords de sa conscience, il reconnaît son péché, se jette la face contre terre et prie le Seigneur de lui pardonner. Dieu, touché de son repentir, le pardonne en effet ; mais, malgré cela, il lui envoie Gad pour lui dire : « Prince, choisissez l’un des trois fléaux que le Seigneur vous a préparés en punition de votre faute : la peste, la guerre et la famine. » David dit : « Il vaut mieux tomber entre les mains du Seigneur dont j’ai tant de fois éprouvé la miséricorde, que dans celles des hommes. » Il choisit donc la peste, qui dura trois jours et qui lui enleva plus de soixante-dix mille sujets ; et, si le Seigneur n’avait arrêté la main de l’ange déjà étendue sur la ville, tout Jérusalem eût été dépeuplé ! David voyant tant de maux causés par son péché, demanda en grâce au bon Dieu de le punir lui seul, et d’épargner son peuple qui était innocent . Hélas ! M.F., quel sera donc le nombre d’années que nous aurons à souffrir en purgatoire, nous qui avons tant de péchés ; qui, sous prétexte que nous les avons confessés, ne faisons point de pénitence et ne versons point de larmes ? Que d’années de souffrances nous attendent dans l’autre vie !
Mais comment pourrai-je vous faire le tableau déchirant des maux qu’endurent ces pauvres âmes, puisque les saints Pères nous disent que les maux qu’elles endurent dans ces lieux, semblent égaler les souffrances que Jésus-Christ a endurées pendant sa douloureuse passion ? Cependant, il est certain que si le moindre supplice de Jésus-Christ avait été partagé entre tous les hommes, ils seraient tous morts par la violence des souffrances. Le feu du purgatoire est le même que celui de l’enfer, la différence qu’il y a, c’est qu’il n’est pas éternel. Oh ! il faudrait que le bon Dieu, dans sa miséricorde, permit qu’une de ces pauvres âmes qui brûlent dans ces flammes, parût ici à ma, place, tout environnée des feux qui la dévorent, et qu’elle vous fît elle-même le récit des maux qu’elle endure. Il faudrait, M.F., qu’elle fît retentir cette église de ses cris et de ses sanglots, peut-être enfin cela attendrirait-il vos cœurs. « Oh ! que nous souffrons, nous crient-elles, ô nos frères, délivrez-nous de ces tourments ; vous le pouvez ! Ah ! si vous sentiez la douleur d’être séparées de son Dieu !… » Cruelle séparation ! Brûler dans un feu allumé par la justice d’un Dieu !… souffrir des douleurs incompréhensibles à l’homme mortel !… être dévoré par le regret, sachant que nous pouvions si bien les éviter !… « Oh ! mes enfants, s’écrient ces pères et mères, pouvez-vous bien nous abandonner, nous qui vous avons tant aimés ? Pouvez-vous bien vous coucher dans la mollesse et nous laisser étendus sur un brasier de feu ? Aurez-vous le courage de vous livrer au plaisir et à la joie, tandis que nous sommes ici à souffrir et à pleurer nuit et jour ? Vous possédez nos biens et nos maisons, vous jouissez du fruit de nos peines, et vous nous abandonnez dans ce lieu de tourments où nous souffrons des maux si affreux, depuis tant d’années !… Et pas une aumône, pas une messe qui nous aide à nous délivrer ! – Vous pouvez nous soulager, ouvrir notre prison ; et vous nous abandonnez ? Oh ! que nos souffrances sont cruelles !… » Oui, M.F., l’on juge bien autrement dans les flammes, de toutes ces fautes légères, si toutefois l’on peut appeler léger, ce qui nous fait endurer des douleurs si rigoureuses. « 0 mon Dieu, s’écrie le Roi-prophète, malheur à l’homme, même le plus juste, si vous le jugez sans miséricorde [5] . « Si vous avez trouvé des taches dans le soleil et de la malice dans les anges, que sera-ce donc de l’homme pécheur [6] ? Et pour nous, qui avons commis tant de péchés mortels, et qui n’avons encore presque rien fait pour satisfaire à la justice de Dieu, que d’années de purgatoire ! …
« Mon Dieu, disait sainte Thérèse, quelle âme sera assez pure pour entrer dans le ciel, sans passer par les flammes vengeresses ? » Dans sa dernière maladie elle s’écria tout à coup : « O justice et puissance de mon Dieu, que vous êtes terrible ! » Pendant son agonie, Dieu lui fit voir sa sainteté, telle que les anges et les saints la voient dans le ciel, ce qui lui causa tant de frayeur, que ses sœurs la voyant toute tremblante et dans une agitation extraordinaire, s’écrièrent tout en larmes : « Ah ! notre mère, que vous est-il donc arrivé ; craignez-vous encore la mort, après tant de pénitences, des larmes si abondantes et si amères ? » – « Non, mes enfants, leur répondit sainte Thérèse, je ne crains pas la mort, au contraire, je la désire, afin de m’unir à jamais à mon Dieu. » – « Est-ce donc que vos péchés vous effraient, après tant de macérations ? » – « Oui, mes enfants, leur dit-elle, je crains mes péchés, mais je crains encore quelque chose de plus. » – « Est-ce donc le jugement ? » – « Oui, je frémis à la vue du compte redoutable qu’il faudra rendre au bon Dieu, qui, dans ce moment, sera sans miséricorde ; mais il y a encore quelque chose dont la seule pensée me fait mourir de frayeur. » Ces pauvres sœurs se désolaient. – « Hélas ! serait-ce l’enfer ? » – « Non, leur dit-elle, l’enfer, grâce à Dieu, n’est pas pour moi ; oh ! mes sœurs, c’est la sainteté de Dieu ! Mon Dieu, ayez pitié de moi ! Il faut que ma vie soit confrontée avec celle de Jésus-Christ lui-même ! Malheur à moi si j’ai la moindre souillure, la moindre tache ! Malheur à moi si j’ai même l’ombre du péché ! » – « Hélas, s’écrient ces pauvres religieuses, quel sera donc notre sort [7] !… » Que sera-t-il donc de nous, M.F., de nous qui peut-être dans toutes nos pénitences et nos bonnes œuvres, n’avons pas encore satisfait à un seul péché pardonné dans le tribunal de la pénitence ? Ah ! que d’années et de siècles de tourments pour nous punir !… Que nous paierons cher toutes ces fautes que nous regardons comme un rien, telles que les petits mensonges que nous disons pour nous divertir, les petites médisances, le mépris des grâces que le bon Dieu nous fait à chaque instant, ces petits murmures dans les peines qu’il nous envoie ! Non, M.F., jamais nous n’aurions la force de commettre le moindre péché, si nous pouvions comprendre combien il outrage le bon Dieu, et combien il mérite d’être puni rigoureusement, même en ce monde.
Nous lisons dans l’Écriture sainte [8] que le Seigneur dit un jour à un de ses prophètes : « Va trouver de ma part le roi Jéroboam, pour lui reprocher l’horreur de son idolâtrie ; mais je te défends de prendre aucune nourriture chez lui, ni en chemin. » Le prophète obéit sur le champ, il s’exposa même au danger évident de périr. Il se présenta devant le roi, et lui reprocha son crime, ainsi que le Seigneur le lui avait dit. Le roi, tout en fureur de ce que le prophète avait la hardiesse de le reprendre, étend la main et ordonne de le saisir. La main du roi se dessèche à l’instant même. Jéroboam se voyant puni, rentre en lui-même. Dieu, touché de son repentir, lui pardonne son péché et lui rend sa main. Ce bienfait changea le cœur du roi, qui invita le prophète à manger avec lui. « Non, lui dit le prophète, le Seigneur me l’a défendu ; quand bien même vous me donneriez la moitié de votre royaume, je ne le ferais pas. » Comme il s’en retournait, il trouve un faux prophète se disant envoyé du Seigneur, qui l’engage à manger avec lui. Il se laissa tromper par ce discours, et prit un peu de nourriture. Mais, au sortir de la maison du faux prophète, il rencontra un lion d’une grosseur énorme qui se jeta sur lui et le tua. Maintenant, si vous demandez au Saint-Esprit quelle a été la cause de cette mort, il vous répondra que la désobéissance du prophète lui a mérité ce châtiment. Voyez encore Moïse, qui était si agréable au bon Dieu. Pour avoir douté un instant de sa puissance, en frappant deux fois une pierre pour en faire sortir de l’eau, le Seigneur lui dit : « J’avais promis de te faire entrer dans la Terre promise, où le miel et le lait coulent par ruisseaux ; mais, en punition de ce que tu as frappé deux fois la pierre, comme si une seule n’avait pas suffi, tu iras jusqu’aux pieds de cette terre de bénédictions, et tu mourras avant d’y entrer [9] ». Si Dieu, M.F., punit si rigoureusement des péchés si légers, que sera-ce donc d’une distraction dans la prière, de tourner la tête à l’église, etc… Oh ! que nous sommes aveugles !… Que nous nous préparons d’années et de siècles de purgatoire, pour toutes ces fautes que nous regardons comme rien… Comme nous changerons de langage, lorsque nous serons dans ces flammes où la justice de Dieu se fait sentir si rigoureusement !…
Dieu est juste, M.F., dans tout ce qu’il fait ; quand il nous récompense pour la moindre bonne action, il le fait au delà de tout ce que nous pouvons désirer ; une bonne pensée, un bon désir, c’est-à-dire, désirer faire quelque bonne œuvre, quand bien même on ne pourrait la faire, il ne nous laisse pas sans récompense ; mais aussi, lorsqu’il s’agit de nous punir, c’est avec rigueur, et nous n’aurions qu’une légère faute, nous serons jetés en purgatoire. Cela est vrai, car nous voyons dans la vie des saints, que plusieurs ne sont allés au ciel qu’après avoir, passé par les flammes du purgatoire. Saint Pierre Damien raconte que sa sœur demeura plusieurs années en purgatoire, pour avoir écouté une mauvaise chanson avec quelque peu de plaisir. On rapporte que deux religieux se promirent l’un à l’autre que le premier qui mourrait viendrait dire au survivant l’état où il serait ; en effet, le bon Dieu permit à celui qui mourut le premier d’apparaître à son ami. Il lui dit qu’il était resté quinze jours en purgatoire pour avoir trop aimé à faire sa volonté. Et comme cet ami le félicitait d’y être si peu resté : « J’aurais bien mieux aimé, répondit le défunt, être écorché vif pendant dix mille ans continus, car cette souffrance n’aurait pas encore pu être comparée à ce que j’ai souffert dans les flammes. » Un prêtre dit à un de ses amis, que le bon Dieu l’avait condamné à rester en purgatoire plusieurs mois, pour avoir retardé l’exécution d’un testament destiné à faire de bonnes œuvres. Hélas ! M.F., combien parmi ceux qui m’entendent ont à se reprocher pareille faute ? combien en est-il qui peut-être, depuis huit ou dix ans, ont reçu de leurs parents ou de leurs amis, la charge de faire dire des messes, de donner des aumônes, et qui ont tout laissé ! Combien y en a-t-il qui, dans la crainte de trouver quelques bonnes œuvres à faire, ne veulent pas prendre la peine de regarder le testament que leurs parents ou leurs amis ont fait en leur faveur ? Hélas ! ces pauvres âmes sont détenues dans les flammes, parce que l’on ne veut pas accomplir leurs dernières volontés ! Pauvres pères et mères, vous vous êtes sacrifiés pour rendre heureux vos enfants ou vos héritiers ; vous avez peut-être négligé votre salut pour augmenter leur fortune ! Pauvres parents ! que vous avez été aveugles de vous oublier vous-mêmes ! ….
Vous me direz peut-être : « Nos parents ont bien vécu, ils étaient bien sages. » Ah ! qu’il en faut peu pour aller dans ces feux ! Voyez ce que dit à ce sujet Albert le Grand, lui dont les vertus brillèrent d’une manière si extraordinaire ; il révéla un jour à un de ses amis, que Dieu l’avait conduit en purgatoire, pour avoir eu une petite pensée de complaisance à cause de sa science. Ce qu’il y a encore de plus étonnant, c’est qu’il y a eu des saints, même canonisés, qui ont passé par le purgatoire. Saint Séverin, archevêque de Cologne, apparut à un de ses amis longtemps après sa mort, et lui dit qu’il avait été en purgatoire, pour avoir remis au soir des prières qu’il devait faire le matin [10] . Oh ! que d’années de purgatoire, pour ces chrétiens qui ne font point de difficulté de remettre leur prière à un autre temps, sous prétexte qu’ils ont de l’ouvrage qui presse ! Si nous désirions sincèrement le bonheur de posséder le bon Dieu, nous éviterions aussi bien les petites fautes que les grandes, puisque la séparation de Dieu est un tourment si affreux à ces pauvres âmes !
Les saints Pères nous disent que le purgatoire est un lieu près de l’enfer. Ceci est très facile à comprendre, puisque le péché véniel est voisin du péché mortel ; mais ils croient que toutes les âmes ne sont pas détenues dans ce lieu pour satisfaire à la justice de Dieu, et que plusieurs souffrent dans le lieu même où elles ont fait le mal. En effet, saint Grégoire, pape, nous en donne une preuve assez forte. Il rapporte qu’un saint prêtre, infirme, allait tous les jours, par ordre de son médecin, prendre des bains dans un lieu écarté ; il trouvait chaque fois un personnage inconnu qui l’aidait à se déchausser, et, après qu’il avait pris son bain, lui présentait un linge pour s’essuyer. Le saint prêtre, touché de reconnaissance, venant un jour de dire la sainte Messe, présenta à son inconnu un morceau de pain bénit. « Mon père, lui répondit cet homme, vous me présentez une chose dont je ne fais point usage, quoique vous me voyiez avec un corps. Je suis le seigneur de ce lieu, qui fais ici mon purgatoire. » Et il disparut en disant : « Ministre du Seigneur, ayez pitié de moi ! Oh ! que je souffre ! vous pouvez me délivrer ; de grâce, offrez pour moi le saint sacrifice de la messe, offrez vos prières et vos infirmités, le Seigneur me délivrera. » Si nous étions bien convaincus de cela, pourrions-nous oublier si facilement nos pauvres parents, qui sont peut-être continuellement autour de nous ? Si le bon Dieu leur permettait de se montrer, nous les verrions se jeter à nos pieds. « Ah ! mes enfants, diraient ces pauvres âmes, ayez pitié de nous ! De grâce, ne nous abandonnez pas ! » Oui, M.F., le soir en nous couchant, nous verrions nos pauvres pères et mères réclamer le secours de nos prières ; nous les verrions, dans nos maisons, dans nos champs. Ces pauvres âmes nous suivent partout: mais, hélas ! ce sont de pauvres mendiants auprès de mauvais riches. Elles ont beau leur exposer leurs besoins et leurs tourments, ces mauvais riches n’en sont malheureusement point touchés. « Mes amis, nous crient-elles, un Pater et un Ave ! une sainte Messe ! » Quoi ! nous serions assez ingrats pour refuser à un père, à une mère, une si petite partie des biens qu’ils ont acquis ou conservés avec tant de peines ? Dites-moi, si votre père, votre mère ou un de vos enfants étaient dans le feu, et qu’ils vous tendissent les mains pour vous prier de les délivrer, auriez-vous le courage d’y être insensibles et de les laisser brûler sous vos yeux ? Or, la foi nous apprend que ces pauvres âmes souffrent ce que jamais l’homme mortel ne pourra comprendre…
Si nous voulons, M.F., nous assurer le ciel, ayons une grande dévotion à prier pour les âmes du purgatoire. L’on peut même dire que cette dévotion est une marque presque certaine de prédestination, et un puissant moyen de salut. L’Écriture sainte nous fournit une comparaison admirable dans l’histoire de Jonathas [11] . Saül, son père, avait défendu à tous les soldats, sous peine de mort, de prendre aucune nourriture jusqu’à ce qu’ils eussent défait les Philistins. Jonathas, qui n’avait pas entendu cette défense, étant épuisé de fatigue, trempa le bout de sa baguette dans un rayon de miel et en goûta. Saül consulta le Seigneur, pour savoir si personne n’avait violé la défense. Apprenant que son fils l’avait violée, le père commanda qu’on se saisit de lui, en disant : « Je veux que le Seigneur me punisse, si vous ne mourez pas aujourd’hui. » Jonathas se voyant condamné à mort par son père, pour avoir violé une défense qu’il n’avait pas entendue, tourna ses regards vers le peuple, et, laissant couler ses larmes, il semblait lui rappeler tous les services qu’il lui avait rendus, et toutes les bontés qu’il avait eues pour lui. Le peuple se jeta aussitôt aux pieds de Saül : « Quoi ! vous feriez mourir Jonathas, lui qui vient de sauver Israël ! lui qui nous a délivrés des mains de nos ennemis ! Non, non, il ne tombera pas un cheveu de sa tête, nous avons trop à cœur de le conserver, il nous a trop fait de bien pour si tôt l’oublier. » Ceci est l’image sensible de ce qui arrive à l’heure de la mort. Si nous avons eu le bonheur de prier pour les âmes du purgatoire, lorsque nous paraîtrons devant le tribunal de Jésus-Christ pour rendre compte de toutes nos actions, ces âmes se jetteront aux pieds du Sauveur en lui disant : « Seigneur, grâce pour cette âme ! grâce, miséricorde pour elle ! ayez pitié, mon Dieu, de cette âme si charitable, qui nous a arrachées aux flammes, et qui a satisfait à votre justice ! Mon Dieu ! mon Dieu ! oubliez, nous vous en prions, ses fautes, comme elle vous a fait oublier les nôtres ! » Oh ! que ces motifs sont puissants pour vous inspirer une tendre compassion envers ces pauvres âmes souffrantes !… Hélas ! elles sont bientôt oubliées. L’on a bien raison de dire que le souvenir des morts s’en va avec le son des cloches. Souffrez, pauvres âmes, pleurez dans ce feu allumé par la justice de Dieu, c’est en vain ; l’on ne vous écoute pas, l’on ne vous soulage pas !… Voilà donc, M.F., la récompense de tant de bonté et de charité qu’elles ont eues pour nous pendant leur vie. Non, ne soyons pas du nombre de ces ingrats ; puisque, travaillant à leur délivrance, nous travaillerons à notre salut.
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